Date : 2024
Type : Livre / Book
Type : Thèse / ThesisLangue / Language : français / French
Dommages de guerre -- Droit -- France -- 1900-1945
État -- Responsabilité -- France -- 1900-1945
Solidarité (droit) -- France -- 1900-1945
Guerre mondiale (1914-1918) -- Destruction et pillage -- France
Guerre mondiale (1914-1918) -- Réparations de guerre -- France
Dommages de guerre -- Indemnités -- Droit -- France -- 1900-1945
Victimes de guerre -- Statut juridique -- France -- 1900-1945
Classification Dewey : 340.09
Résumé / Abstract : Après la Grande Guerre, la loi du 17 avril 1919, aussi nommée "Charte des sinistrés", consacra le principe d’une indemnisation systématique des dommages subis par les populations civiles sur leurs biens. La guerre totale avait aboli les principes élémentaires de ce que Carl Schmitt appelle le jus publicum europaeum, et qui assuraient jusqu’alors la neutralité des populations civiles dans le déroulement des combats. Elle rendit les règles spéciales de droit interne qui encadraient les atteintes aux biens des personnes (réquisitions, servitudes militaires, etc.) inefficaces à assurer la sécurité juridique des particuliers. Dès lors, le principe d’irresponsabilité, qui perdure de nos jours, devenait par l’ampleur des dommages collatéraux, intenables pour assurer l’ordre social d’après-guerre. Le régime de responsabilité sans faute consacré par le législateur constitua ainsi une innovation, qui assura pour tous les dommages ayant un lien certain et direct avec un fait de guerre une indemnisation qui devait servir à la reconstruction des régions dévastées. Tout en assurant la liberté théorique du sinistré dans l’usage de cette réparation dite intégrale, la loi astreignit le sinistré à employer strictement son indemnité à la réédification des biens endommagés. Par ce mécanisme, dit du « remploi », l’État souhaitait contrebalancer un régime onéreux pour les finances publiques. La technique à l’œuvre dans l’indemnisation des dommages atteste que la responsabilité publique relevait des mêmes mécanismes que celle de droit privé. L’expérimentation de la responsabilité sans faute ici consacrée mobilisa aussi les débats doctrinaux de l’époque. Les problématiques de la reconstruction révèlent ainsi les tiraillements entre droit individualiste et droit social, entre principe de solidarité et principe d’égalité devant les charges publiques. Cette étude permet donc d'apprécier la période de l'Entre-deux-guerres en tant que charnière pour l'histoire du droit public français. La consécration d’un mécanisme de responsabilité sans faute met ainsi au jour deux logiques a priori contradictoires. La Charte des sinistrés écartait l'arbitraire autrefois accordé à l'administration dans les circonstances exceptionnelles et offrait aux sinistrés la certitude d’une indemnisation équitable. Cependant, l’évacuation de la faute dans la responsabilité ainsi consacrée assurait à l’État que quiconque ne puisse juger les choix politiques et stratégiques faits durant les quatre années de guerre et qui avaient conduit l’Europe dans les abîmes de la guerre totale. Cette enquête conduira donc à apprécier les enjeux politiques et juridiques d’une responsabilité paradoxale.
Résumé / Abstract : After the Great War, the Act of 17 April 1919, commonly referred to as the “Charte des sinistrés”, as “Charter for Disaster Victims,” institutionalized the principle of systematic compensation for damage to civilian property, and losses incurred by civilian populations. The total warfare of that period had dismantled the foundational principles of what Carl Schmitt terms the jus publicum europaeum, which had previously safeguarded the neutrality of civilian populations during armed conflicts. The efficacy of the domestic legal rules traditionally governing actions against civilian property (such as requisitions and military servitudes) was thereby eroded, failing to uphold individuals’ legal security. Consequently, the principle of state non-liability, which remains relevant today, became unsustainable for preserving post- war social stability in consequence of the extensive collateral damage sustained. The no-fault liability regime introduced by the legislature marked a significant innovation, allowing for compensation of all damages with a clear and direct connection to wartime activities, primarily intended for the reconstruction of devastated regions. Although this system theoretically preserved the claimant's freedom to receive full compensation, it simultaneously required that the compensation be exclusively allocated toward the restoration of damaged property. Through this mechanism, referred to as 'reinvestment,' the State aimed to offset a regime that imposed a significant financial burden on public finances. The methods employed for compensating damages reveal that public liability operated under mechanisms parallel to those in private law. The experimentation with no-fault liability explored in this article likewise engaged doctrinal debates of the era. The challenges surrounding reconstruction thus reveal the tensions between individualistic law and social law, as well as between the principle of solidarity and the principle of equality before public charges. This study thus enables an appreciation of the interwar period as a pivotal moment in the history of French public law. The establishment of a no-fault liability system highlighted thereby, two ostensibly contradictory rationales. The “Charter for Disaster Victims” curtailed the arbitrary authority previously granted to the administration in exceptional situations, it provided disaster victims with the assurance of an equitable compensation. However, by eliminating fault from the form of liability thus enshrined, the State ensured that no one could scrutinize the political and strategic decisions made during the four years of war that had driven Europe into the depths of total warfare. Accordingly, this study aims to examine the political and legal implications of this paradoxical responsibility.