Guerre et loi : la refondation du libéralisme face à la révolution conservatrice chez Leo Strauss et Raymond Aron / Alexis Carré ; sous la direction de Jean-Claude Monod

Date :

Type : Livre / Book

Type : Thèse / Thesis

Langue / Language : français / French

Philosophie

Classification Dewey : 100

Monod, Jean-Claude (1970-....) (Directeur de thèse / thesis advisor)

Simon-Nahum, Perrine (Président du jury de soutenance / praeses)

Tanguay, Daniel (1960-....) (Rapporteur de la thèse / thesis reporter)

L'Heuillet, Hélène (Rapporteur de la thèse / thesis reporter)

Goupy, Marie (1977-....) (Membre du jury / opponent)

Manent, Pierre (1949-....) (Membre du jury / opponent)

Université Paris sciences et lettres (2020-....) (Organisme de soutenance / degree-grantor)

École doctorale Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales (Ecole doctorale associée à la thèse / doctoral school)

Pays germaniques, transferts culturels (Paris) (Laboratoire associé à la thèse / thesis associated laboratory)

École normale supérieure (Paris ; 1985-....) (Autre partenaire associé à la thèse / thesis associated third party)

Résumé / Abstract : Face à l’ambiguïté de tout système reposant sur des valeurs communes le libéralisme a proposé durant trois siècles un dispositif d’échange neutre censé permettre la coexistence pacifique d’individus et de groupes portant sur le monde commun des évaluations différentes voire contradictoires. Dans ce dispositif, la violence, ou plutôt la possibilité de la mort violente, ne peut jamais constituer un des biens disponibles à l’échange. Il existe donc au coeur de la compréhension libérale de l’homme l’idée que la guerre et le sacrifice qui en rend la possibilité effective sont, toutes choses égales par ailleurs, impossibles une fois réunies les conditions d’un jugement rationnel. Sans la coopération pacifique de tous les hommes, la garantie de mes droits et la poursuite de mes intérêts trouvent dans la menace permanente du conflit une limite radicale qu’une politique rationnelle aurait pour mission de dépasser. Pour devenir effective cette garantie requiert donc d’offrir à chacun une alternative, moins coûteuse ou risquée, à l’appropriation forcée des biens et de l’obéissance d’autrui. Cette démarche de pacification et de civilisation connut de nombreuses formulations (le doux commerce, la Société des nations, la paix démocratique, etc.) ; poussée jusque dans ses conséquences ultimes, elle dépasse la simple condamnation morale de la guerre et aboutit à la certitude que la loi ne saurait contenir une obligation — par exemple celle du meurtre d’autrui — de nature à contredire les raisons qui portent l’homme à entrer en société. Par le commerce, l’industrie et l’éducation, l’humanité entrerait dans une ère nouvelle d’où la violence moralement condamnable de la guerre n’aurait même plus l’excuse d’être utile ou nécessaire. Dans la défense de leurs droits et la poursuite de leur intérêt bien compris les hommes et les communautés qu’ils forment n’auraient, au sein de ce monde nouveau, plus de besoins ou d’idées dont la satisfaction ou la réalisation nécessitent l’usage de la violence. Les organisations auxquelles fut confiée la consolidation de l’ordre international et de l’ordre européen issus de la dernière guerre participent de cette logique qui voit l’arbitrage et le droit succéder à la force dans la résolution des différends entre États. La mise en question de ce dispositif ou de sa neutralité, la permanence d’un phénomène qu’il échoue à expliquer comme à éradiquer, rendent nécessaire un réexamen du problème de la guerre et de la loi. De quelque manière que l’on envisage leur avenir immédiat, les démocraties libérales continuent en effet de devoir recourir par nécessité à ces moyens violents dont elles ne savent plus rendre raison à partir des principes structurant les communautés qu’elles forment. Qu’on le veuille ou non, cette incapacité à penser la rationalité de la guerre comme instrument de leur politique étrangère affecte la conduite quotidienne des gouvernements démocratiques et plus largement la possibilité qu’ils ont de s’inscrire positivement dans un ordre international de plus en plus instable et défavorable. La possibilité que ce problème soit une donnée permanente et non un simple accident de nature historique et provisoire, la réalisation que ce problème a sa source au coeur du droit naturel moderne et, pour ainsi dire, au coeur du projet moderne, mettent au jour le besoin d’un traitement philosophique de la question. Conscients de l’impossibilité de justifier le devoir de participation à la guerre qu’ils savaient inévitable contre l’Allemagne nazie sur le fondement de la primauté des droits, mais conscients également de la nécessité de permettre un exercice réglé de cette violence nécessaire, Leo Strauss et Raymond Aron ont tenté d’élaborer une compréhension renouvelée du libéralisme. Cette tentative les amène à examiner le régime moderne, le régime libéral, à partir des questions de la philosophie ancienne, à partir des notions de vertu de commandement, de meilleur régime et de commandement absolument justifié.

Résumé / Abstract : Given the ambiguity of any system grounded on common values, liberalism has constituted for three centuries a neutral platform of exchange meant to allow for the peaceful coexistence of individuals and groups who have diverging and contradictory evaluations of their common world. In this frame of action, violence, or rather the possibility of violent death, can never constitute a good available for exchange. There is then at the heart of the liberal understanding of man the idea that war, and the possibility of sacrifice that makes it effective, is impossible once the conditions for a rational judgment are met. Without the peaceful cooperation of all men, the permanent threat of conflit represents a radical limitation to the protection of my rights and the pursuit of my interest which a rational policy is meant to overcome. To become effective, this guarantee requires to find an alternative, less costly or less risky, to the forced appropriation of someone else’s goods or obedience. This project of pacification and civilisation has found many formulations (“doux commerce”, the League of nations, democratic peace, etc.). Pushed to its ultimate consequences, this goes beyond the mere moral condemnation of war. It means that legal norms cannot contain an obligation—for example that of murder— that would contradict the reasons for which man participates in the social contract. Through commerce, industry and education, humanity is to enter a new era where the morally reprehensible violence of war would no longer be able to invoke its utility or necessity. In this new world, men and the communities they form in defending their rights and pursuing their interests, would no longer have needs or ideas which would require them to use violence. The organizations in the care of which the postwar European and international orders were given participate to that logic. Arbitration and law succeed to the use of force in the resolution of conflicts between states. The fact that this apparatus or at least its neutrality are called into question, and the permanence of a phenomenon which it fails to explain or eradicate, make it necessary to examine the problem of war and law. However one conceives the immediate future of liberal democracies, they keep having to make use of these violent means which no longer have any place in their understanding of their own founding principles. This incapacity to consider the rationality of war as an instrument of their foreign policy affects the daily conduct of democratic governments, and more broadly their capacity to act in an increasingly unstable and unfavorable international order. The possibility that this problem has its source at the heart of modern natural right, and, so to speak, at the heart of the modern project, justify the need for a philosophic treatment of the question. Conscious of the impossibility to account for the duty to participate to the war they knew had to come against nazi Germany on the basis of the primacy of rights, but also conscious of the necessity to allow for a regulated exercise of this necessary violence, Leo Strauss and Raymond Aron saw the need for a renewed understanding of liberalism. This attempt led them to examine the modern regime, the liberal regime, through the questions asked by ancient political philosophy. Through the notions of the virtues of leadership, of the best regime, and of absolutely justified commandment.