Les grandes lames et les lames par pression au levier du Néolithique et de l'Énéolithique en Italie / Denis Guilbeau ; sous la direction de Catherine Perlès

Date :

Type : Livre / Book

Type : Thèse / Thesis

Langue / Language : français / French

Néolithique -- Italie

Outils préhistoriques -- Italie

Chalcolithique -- Italie

Perlès, Catherine (1948-....) (Directeur de thèse / thesis advisor)

Vaquer, Jean (1950-....) (Président du jury de soutenance / praeses)

Binder, Didier (1954-....) (Rapporteur de la thèse / thesis reporter)

Manfredini, Alessandra (Membre du jury / opponent)

Pelegrin, Jacques (19..-....) (Membre du jury / opponent)

Université Paris Nanterre (Organisme de soutenance / degree-grantor)

École doctorale Espaces, Temps, Cultures (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 2000-....) (Ecole doctorale associée à la thèse / doctoral school)

Résumé / Abstract : En Italie, durant le Néolithique et l’Énéolithique, entre 6000 et 2000 cal. BC environ, dans les industries lithiques se distinguent des lames débitées par une technique particulière, la pression au levier, et des lames de grandes dimensions débitées par percussion indirecte. En moyenne, ces lames mesurent 18-20 cm de long lorsqu’elles sont entières. Elles représentent une composante marginale voire exceptionnelle au sein des séries lithiques. Par comparaison avec des séries expérimentales et par comparaison avec d’autres contextes archéologiques nous émettons l’hypothèse que leur production est le fait de groupes restreints de tailleurs de très haut niveau technique. Du nord au sud de l’Italie, 3 productions importantes et plusieurs productions secondaires ont été recensées. Certaines apparaissent dès le début du Néolithique et sont présentes durant plusieurs millénaires, d’autres ne durent que quelques siècles. Le silex extrait des mines du Gargano, dans le sud-est du pays, a été employé pour la réalisation de lames par pression au levier au moins dès 5800 cal. BC. Ces lames sont présentes tout au long du Néolithique et au-delà. Dès le début, leur morphologie et leurs dimensions témoignent d’un remarquable niveau technique. L’aspect des talons indique en outre l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage au moins dès 5600 cal. BC. L’hypothèse qu’il s’agisse du cuivre, très surprenante au vu de l’ancienneté des pièces concernées, ne peut pas être totalement écartée, mais demanderait des analyses complémentaires pour être confirmée. Au cours des siècles, la diffusion de ces lames s’étend progressivement à des régions de plus en plus lointaines et atteint plusieurs centaines de kilomètres. Cette diffusion s’adapte aux bouleversements démographiques que connaît la région au cours du Néolithique. Les lames sont généralement découvertes fragmentées dans les villages où elles côtoient des exemplaires de dimensions moindres réalisés par pression debout dans le même silex. Le niveau technique dont témoignent ces lames laisse supposer une valorisation des pièces les plus « spectaculaires » par leur morphologie et/ou leurs dimensions. D’ailleurs, des pièces entières sont connues dans des dépôts puis, à partir du Néolithique moyen, dans des sépultures. Toujours au Gargano, les débitages laminaires spécialisés de l’Énéolithique moyen, entre 3500 et 2500 cal. BC environ, n’ont de commun avecceux des siècles et millénaires précédents que l’emploi de la pression au levier et l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage. La presque totalité des lames dont le contexte de découverte est connu provient de sites funéraires liés à la culture Gaudo et est retouchée sous forme de poignards. Certains d’entre eux montrent les stigmates d’une utilisation intensive. Les liens entre cette culture et ces pièces semblent si forts qu’il est possible que l’intégralité de la chaîne opératoire de débitage, de l’extraction du silex jusqu’à la diffusion de ces objets, soit maîtrisée par la population liée à cette dernière. Aux côtés des poignards sur lame apparaissent également des poignards bifaciaux très majoritairement réalisés en silex du Gargano. En Italie centrale, les premières lames par pression au levier recensées sont réalisées autour de 4000 cal. BC dans un silex d’origine inconnue, puis apparaissent quelques lames débitées dans le silex de la Scaglia Rossa des Marches. Ces dernières demeurent rares, leur morphologie est assez hétérogène, et elles se distinguent souvent mal des productions plus ou moins longues débitées par percussion indirecte dans les mêmes silex. L’absence de développement important de cette production n’est pas liée à l’absence de matière première apte à de tels débitages mais correspond à l’absence de demande sociale forte pour ce genre de produits. En Italie du Nord, l’importance des grandes foliacées essentiellement en silex des Monts Lessins par rapport aux grandes lames ou aux lames par pression au levier semble remarquable. Il pourrait s’agir d’objets socialement équivalents. Cela expliquerait la rareté extrême des grandes lames et des lames par pression au levier dans cette région durant l’Énéolithique, entre 3500 et 2200 cal. BC environ, alors qu’elles sont présentes dans la plupart des régions voisines. Un seul exemplaire en silex des Monts Lessins a été recensé et ne sont connues que quelques pièces en silex de Forcalquier dont la diffusion est presque exclusivement limitée aux franges occidentales de ce pays. En Sardaigne, le développement à partir 4200-4000 cal. BC environ d’une production de lames par pression au levier en silex de Perfugas dans le nord de l’île est à peu près synchrone avec le développement de la culture Ozieri. Aucune lame n’est produite après la fin de cette culture, c'est-à-dire vers 3500 cal. BC. Ces lames sont réalisées avec un matériau plus dur que le bois de cervidé. Elles font partie des diverses productions techniques comme les céramiques et les statuettes qui sont étroitement liées à la culture Ozieri. À l’image de ces autres productions, les lames ne diffusent quasiment pas ni vers la Corse, ni vers le Continent. En Sicile, les grandes lames et les lames par pression au levier apparaissent précocement, peut-être dès l’aube du Néolithique entre 6000 et 5500 cal. BC environ et sont présentes jusqu’au début de l’Âge du Bronze, vers 2000 cal. BC. Dès le 6ème millénaire l’aspect des talons de certaines lames évoque l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage. Le silex dans lequel elles sont réalisées est extrait au moins en partie de mines dans les Monts Hybléens, dans le sud-est de l’île. Ces structures ne sont pas datées. L’existence d’un second centre de production dans l’ouest de la Sicile est hautement probable. La seule évolution nettement perceptible dans cette production est le développement du dépôt de ces lames dans les sites funéraires à partir de la fin du Néolithique. La permanence remarquable de ces débitages peut être mise en parallèle avec d’autres aspects culturels de cette région qui montrent également un fort conservatisme. L’absence d’indices nets qui pourraient suggérer un développement local et l’analogie entre les techniques de débitage des différentes productions recensées permettent de proposer un modèle de développement des ateliers qui implique le déplacement de tailleurs spécialisés selon plusieurs scénarios possibles. Ces tailleurs provenant d’un lieu encore indéterminé (nord de la Grèce/Albanie ou Anatolie ?) sont parvenus dans le Gargano et peut-être en Sicile dès le début du Néolithique. Durant le Néolithique moyen, nous supposons qu’une partie des artisans du Gargano sont parvenus en Italie centrale et dans le nord de la Sardaigne. À la fin du Néolithique, il est possible que les tailleurs de lames de Perfugas en Sardaigne soient partis définitivement vers le sud de la France, à Forcalquier. Paradoxalement, malgré des liens techniques indéniables, les aires de diffusion des différentes productions sont le plus souvent exclusives les unes des autres. Une analyse de la morphologie, de l’utilisation et de la gestion des lames de chaque atelier permet de constater qu’il existe en fait des différences majeures au niveau de ces critères. Le plus souvent, les lames par pression au levier et les grandes lames n’ont en commun que l’origine des tailleurs et le fait qu’il s’agit de productions fortement valorisées. Dans certaines régions où elles sont très rares ou absentes, nous émettons l’hypothèse que ce rôle est tenu par d’autres bien fortement valorisés comme les grandes haches en roche alpine. En Italie, les lames par pression au levier et les grandes lames sont donc des productions homogènes sur le plan technique, mais très hétérogènes sur le plan culturel et leur signification sur le plan social doit être relativisée vis-à-vis des autres productions socialement valorisées des cultures concernées. Mots clés Italie, Néolithique, Énéolithique, technologie lithique, silex, grandes lames, pression au levier, poignards, spécialisation, connaissances et savoir-faire, diffusion, biens fortement valorisés.

Résumé / Abstract : In Italy during the Neolithic and the Eneolithic, between circa 6000 and 2000 BC cal., in the lithic industries, we can find blades made by a special technique, the lever pressure, and long blades made by indirect percussion. These blades are 18-20 cm long in average. They’re a marginal or exceptional component of the lithic industries. By comparison with experimental series, and by comparison with others archaeological cases, we can suppose that they’re produced by very small groups of very skilled knappers. In Italy, from the north to the south, we have identified 3 important productions and several secondary productions. Some appears in the beginning of the Neolithic and are present during millennia, others are limited to several centuries. The flint extracted from the Gargano mines, in the southeast, is used to make lever pressure blades at least since 5800 cal. BC. We can fin these blades during all the Neolithic and even later. From the beginning, their morphology and their dimensions is an indication of their noticeable technical level. The aspect of the butts permits to stabilize that a device harder than antler has been used to strike them at least since 5600 cal. BC. We need now to do analysis in order to verify if it’s a copper device, which would be very surprising because these blades are more than a millennium older than the first metal artifacts known in this area. The diffusion of these blade grows gradually during the centuries and in the Late Neolithic some blades are found hundreds kilometers far from the Gargano. The diffusion of these blades has adapted itself to the demographic changes in this region during the Neolithic. In the villages, the blades are found in short segments with others blades in the same flint made by standing pressure. The technical level of these blades is an indication of the valorization of the most spectacular ones by their morphology and/or their dimensions. Complete blades are found in hoards and, since the Middle Neolithic, in graves. Always in the Gargano, the specialized laminar flintknapping of the Middle Neolithic, between circa 3500 and 2500 cal. BC, are very different from the Neolithic and Early Eneolithic ones. Only the technique (the lever pressure) and the use of a device harder than antler in the knapping are common. Nearly the all blades, for which the origin is known, are coming from the graves of the Gaudo culture and are retouched in daggers. Some are intensively used. The links between this culture and these daggers are so strong, that it’s possible that Gaudo people control the entire «chaîne opératoire», from the extraction of the flint to the diffusion of these artifacts. Beside the blade daggers, there are bifacial daggers mainly realized in Gargano flint. In central Italy, the first pressure blades known are present circa 4000 cal. BC in a flint from an unknown origin. Then we can find some blades made in Scaglia Rossa flint from the Marches. These blades are rare, their morphology is not regular, and it’s sometimes hard to distinguish them from blades made by indirect percussion in the same flint. The weak development of this production is not the consequence of a lack of flint suitable for that type of blades, but is a consequence of the absence of social demand for that type of products. In Northern Italy, the importance of bifacial daggers and bifacial points production in Lessinian flint is noticeable. They can be a social equivalent of the long blades and lever pressure blades which are very rare in this area during the Eneolithic, between circa 3500 and 2200 cal. BC, whereas in the same time, this kind of blade is present in the neighboring areas. We have identified only one single artifact made by lever pressure probably in Lessinian flint, and a few onesmade in Forcalquier flint (south-east France). The latter ones are mainly discovered in northwest Italy. In Sardinia, from circa 4200-4000 cal. BC, the development of the lever pressure blades in Perfugas flint, in the north of the Island, is nearly synchronic with the development of the Ozieri culture. There is no blade after the disappearance of this culture, circa 3500 cal. BC. These blades are made with a device harder than antler. They’re a part of several technical productions, like ceramics and stone/bone figurines, which are closely linked with Ozieri culture. As these others productions, the flint blades are discovered almost exclusively in Sardinia. In Sicily, long blades and lever pressure blades appear early, maybe in the Early Neolithic, between circa 6000 and 5500 cal. BC and are presented till the beginning of the Bronze Age, circa 2000 cal. BC. Already in the 6th millennium, the aspect of the butts of some blades is an indication of the use of a device harder than antler in the knapping. Almost one part of the blades is in a flint coming from mines in the Hyblean hills, in the southeast of the Island. We have no precise information about the period when the mines have been dug. There’s probably an other production center in the west of the Island. The only evolution visible in this production is the deposit of some blades in the graves since the end of the Neolithic. The exceptional longevity of this production (almost 3500 years) is probably symptomatic of the cultural development of Sicily during this period, which is characterized by a strong conservatism in several aspects. The absence of clear clues of a local development and the analogy in the knapping techniques between every productions are the elements that permit us to propose a model for the development of these specialized flintknappings. This model implies the circulation of specialized flintknappers. We propose several theorical scenarios. The precise origin of the flintknappers is still unknown (northern Greece/Albania or Anatolia?). They first arrived in the Gargano and maybe in Sicily in the beginning of the Neolithic. During the Middle Neolithic, we suppose that some of the knappers of the Gargano get in Central Italy and in northern Sardinia. In the end of the Neolithic, it’s possible that all the Sardinians knappers left definitely Perfugas to go to Forcalquier in southeast France. Although there are technical links, the diffusion areas of the products are almost exclusive each other. An analysis of the morphology, the utilization and the way they’re managed permits to see that there are actually major differences in these criteria. In most cases, long blades and lever pressure blades have nothing in common but the origin of the knappers and the fact that they’re highly valorized products. In some regions where they’re rare or nearly absent, we suppose that other highly valorized products like alpine long axes hold this role. In Italy, long blades and lever pressure blades are very similar by their technique, but very different on the cultural level and their meaning on the social level. Furthermore, their signification in the social level must be considered with the other highly valorized produced in the concerned cultures.